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Entretien avec Laurent Bourdelas dans "Bretons"

Entretien avec l’auteur Laurent Bourdelas

« Alan Stivell est à l’origine du revival des cultures minoritaires en France »

PROFESSEUR D’HISTOIRE, LAURENT BOURDELAS VIENT DE SIGNER UNE BIOGRAPHIED’ALAN STIVELL. HABITANT POURTANT LOIN DE LA BRETAGNE, À LIMOGES, IL S’EST PASSIONNÉ POUR LE MUSICIEN ET CHANTEUR QUI A JOUÉ UN RÔLE DÉTERMINANT, DANS LES ANNÉES 1970, DANS LA RÉAPPROPRIATION DE LA FIERTÉ BRETONNE…

BRETONS : Pourquoi un Limougeaud comme vous s’est passionné pour Alan Stivell ?

LAURENT BOURDELAS : Mes parents aimaient aller en vacances en Bretagne. En 1972, je me souviens très bien du moment, on se promène à Saint-Goustan et j’entends Tri martolod à la radio. Je trouve ça – et mes parents aussi – super ! À Noël, mes parents m’offrent le vinyle du concert à l’Olympia. J’ai 10 ans. J’ai un coup de foudre pour cette musique. À partir de ce moment-là, je deviens un fan de Stivell. Je vais avoir tous ses disques. En 1976, je vois pour la première fois Alan Stivell sur scène, au Festival Interceltique. J’ai trouvé ça génial. Je me suis d’abord intéressé à la musique, à la culture, à la poésie et à la littérature bretonnes – Per-Jakez Hélias, Xavier Grall… – et c’est ce qui m’a conduit par ailleurs à m’intéresser à la culture occitane et limousine ensuite. C’est paradoxal, mais c’est comme ça que ça s’est passé.

Comment est né ce livre ?

En 2010, j’ai constaté qu’il n’y avait pas grand-chose de sérieux écrit sur Alan Stivell. Moi, j’ai une formation d’historien et je voulais envisager les choses comme ça. J’ai pris contact avec lui, en lui disant que je voulais écrire une biographie à son sujet. Il m’a répondu de façon très froide : Je vous préviens, on a écrit beaucoup de choses pas très justes sur moi, je n’ai pas beaucoup de temps, je suis toujours en train de travailler, je vais avoir des difficultés à vous aider. J’ai décidé de commencer à travailler quand même. J’ai retrouvé aux archives nationales, à Paris, tout le dossier de naturalisation de son grand-père maternel. Sa mère vient de ce qui était l’Empire russe à l’époque, d’Ukraine. Je lui ai envoyé. Il ne l’avait jamais vu. À partir de ce moment-là, il m’a fait confiance, il m’a beaucoup aidé, il m’a ouvert la porte. J’ai beaucoup travaillé du côté des archives de presse, des maisons de disque. Lui m’a donné énormément d’informations, il s’est rendu très disponible. On s’est rencontrés à plusieurs reprises et on est devenus amis. Pour le petit garçon fan depuis ses 10 ans… C’était fabuleux !

Alan Stivell grandit dans le milieu breton de Paris…

Exactement. Il s’est passé un peu la même chose avec le mouvement occitan : les gens qui sont expatriés à Paris sont animés d’une espèce de nostalgie du pays d’origine. Il y a des associations actives, on réinvente la culture et la musique bretonnes à Paris. C’est ce que va faire le père de Stivell, qui est nostalgique de la Bretagne, et qui, après beaucoup de recherches, le soir à la maison, va réinventer ce qu’il pense être la harpe celtique des origines. Alan voit ça et il est complètement émerveillé. On l’avait obligé à faire du piano, mais il détestait ça. Son père destinait plutôt son instrument à son épouse, mais c’est Stivell qui va s’en emparer. Parfois, il travaille jusqu’à deux ou trois heures par jour, jusqu’à s’en faire saigner les doigts. C’est un coup de foudre total.

Sa mère est d’une famille juive franco-russe. Il n’en parle pourtant pas. C’est l’identité bretonne qui a pris toute la place ?

Il y a plusieurs choses. D’abord sa mère elle-même n’en parlait pas. Elle s’est complètement rattachée à la Bretagne par son mari. Elle l’a encouragé dans toutes ses entreprises. Pour Alan, c’est la partie bretonne qui l’a emporté. Et jusqu’à ce que je lui donne le dossier de naturalisation très précis, il y a beaucoup de choses qu’il ne savait pas sur ses origines et sur l’itinéraire de sa famille. Ce côté un peu flou dans les origines maternelles, il le réinterprète en disant que ça le relie à la world music, au reste du monde.

Il naît en Auvergne, en 1944, mais ce sont les hasards de la guerre…

Ses parents et ses deux frères, Jean et Yves, ont fui durant l’exode. Il naît sur la route de l’exode.

Son père est très Breton, il lit les publications de Taldir Jaffrennou, la Bretagne à Paris…

Il est complètement rattaché à ça. Ils ont de la famille à La Trinité et à Gourin, son père a des contacts avec le mouvement druidique, et c’est peut-être ce qui lui donne l’envie de recréer cette harpe.

La harpe celtique avait donc disparu, même en Irlande ?

Elle s’est maintenue un peu en Irlande mais elle a disparu au moment du baroque au profit de la harpe classique. Il restait des documents, des témoignages écrits, des sculptures. Il a essayé de se réapproprier tout ça pour recréer une harpe celtique. Quant à la façon de jouer, il a demandé à une professeure de harpe classique, Denise Mégevand, de donner des cours à Alan, enjouant des airs du répertoire breton. Le père d’Alan est de tradition catholique, il a fait ses études à Vannes et était proche du catholicisme breton.

Dans le milieu breton de Paris, beaucoup d’associations sont aussi proches du catholicisme. C’est le cas des scouts Bleimor, auxquels Stivell va appartenir?

C’est le deuxième moment déterminant pour lui. Dans ce mouvement scout, en réaction à cette époque où on interdisait de parler breton, on demandait à l’inverse aux jeunes de parler la langue. On se réapproprie la culture, il y a une revue à laquelle Stivell participe, on y pratique la musique, la danse. Même à Paris, cela va donner à Stivell l’envie d’apprendre la langue. Dans le métro, quand il rentre chez lui, il suit des cours, il note des mots de vocabulaire. Il va apprendre le breton comme ça. C’est le mouvement Bleimor qui va lui donner cette armature culturelle.

Vous écrivez que c’est presque une identité surjouée. Il s’y jette à fond et il l’explique par le fait qu’il a été déraciné...

Oui. Il est déraciné de plusieurs façons. Géographiquement, par rapport à la Bretagne, donc par rapport à la langue. Il ne se sent pas bien du tout dans l’histoire officielle française, il a des joutes régulières au lycée avec son prof d’histoire. Et il dit qu’il est aussi déraciné sur le plan générationnel, parce que ses parents sont âgés par rapport à lui. C’est une sorte de refuge, mais un refuge qu’il veut moderniser. Pour moi, ce parcours, cet attachement sont quasiment romantiques. Il écrit des poèmes, il idéalise la Bretagne. Ce qui l’énerve, quand il va en vacances en Bretagne, c’est d’entendre la variété française de l’époque, or il aimerait que les Bretons se réapproprient leur propre musique.

Car à l’inverse, parmi les jeunes, il entend le folksong et y trouve des accents celtiques…

Le folk américain reprend du traditionnel mais le modernise. Ce sera son modèle. Il entend l’électrification des guitares, parce que c’est aussi le déferlement du rock. Ce sont les deux biais par lesquels il va moderniser la musique bretonne. L’autre moment important, c’est quand il va rejoindre les Hootenannies au Centre américain de Paris, à Montparnasse. Ce sont des soirées où des gens viennent jouer du folk. Eux jouent de la guitare, lui vient avec sa harpe. Il chante en breton quand eux chantent en anglais. Stivell est extrêmement timide, toujours aujourd’hui. Il ne sait pas s’il se lance, mais il est poussé à le faire et il va tout de suite rencontrer une écoute attentive, les gens vont aimer ça et c’est ce qui va l’encourager à continuer.

Ça lui permet de raccrocher sa musique à un mouvement de mode mondial…

C’est ça qui est génial. Il a l’intuition qu’il faut rendre vivante cette musique en faisant comme les Américains. La musique traditionnelle américaine vient en partie d’Irlande, il fait le parallèle. Au début, il trouve qu’il n’est pas à la hauteur, alors il dit que ce serait bien qu’une jeune chanteuse bretonne fasse cela. Finalement, c’est lui qui y va. Et ça va être le succès.

À cette période-là, il choisit son pseudo…

Il choisit un pseudo d’abord parce qu’il veut séparer sa carrière qui commence et sa vie familiale. Pour lui, Stivell (qui signifie source en breton, ndlr), c’est l’idée de la source, de la régénération.

La date clé est celle du concert de l’Olympia, le 28 février 1972 ?

Juste avant, il avait été invité au Pop Club de José Artur avec les Moody Blues, qui l’avaient trouvé génial et qui l’avaient emmené avec eux en tournée en Angleterre en première partie. Mais 1972, c’est ce premier Olympia mythique. Le concert est retransmis en direct à la radio. Lui fait un pari : Est-ce que ça va marcher auprès des Bretons ? Car il s’adresse aux jeunes Bretons, avec l’idée qu’il faut se réapproprier cette culture et cette fierté. Et en fait, ça va complètement dépasser les frontières bretonnes. Il va devenir un chanteur reconnu, à succès, en France. C’est le tournant. C’est énorme.

Et ce concert a un retentissement national ?

Oui. Et il amorce en même temps le mouvement de revival des cultures minoritaires en France. Il va illustrer ça. C’est aussi un combat pour les langues, un combat politique, écologique. C’est un mouvement important.

Et qui dépasse le champ artistique, qui est politique ?

Oui. Par rapport au mouvement breton, cela va faire ressurgir un mouvement modernisé, dégagé de certaines compromissions pendant la guerre. Il va, avec d’autres, réorienter ce militantisme vers la gauche, vers l’universalisme, l’écologie, le socialisme, au sens de mouvement, pas de parti. Il va accompagner l’UDB, l’Union démocratique bretonne, qui va organiser des concerts de Stivell à travers la Bretagne. Oui, c’est aussi un mouvement politique. Il a l’intuition qu’il faut rendre vivante cette musique en faisant comme les Américains. La musique traditionnelle américaine vient en partie d’Irlande, il fait le parallèle.

Dans votre livre, à plusieurs reprises, il explique avoir fait cela pour la Bretagne, pour faire avancer l’idée bretonne… Plus que pour la musique en elle-même ?

Oui. Je crois qu’au début, c’est d’abord ça. La langue bretonne aussi, il a toujours milité pour elle. La réunification de la Bretagne, évidemment, aussi. C’est un projet politique au sens large, se réapproprier la fierté d’être Breton. C’est un chanteur engagé. Il a une chanson, Délivrance, qui est très emblématique de ça, où il fait aussi du peuple breton le frère des peuples opprimés à travers le monde, y compris les Palestiniens.

Alan Stivell continue à publier des albums, mais quel est son principal héritage ?

Je pense qu’il y en a plusieurs. Sur le plan musical et même culturel, c’est quelqu’un de très important traditionnelle. Il a toujours relié la musique traditionnelle à toutes les innovations musicales, y compris aujourd’hui l’électro. Il y a également la défense de la langue bretonne. Et la harpe. En entendant Stivell, des artistes ont eu la vocation : Cécile Corbel, Loreena McKennitt et d’autres se sont mises à jouer de la harpe parce qu’elles ont entendu Stivell. Beaucoup de luthiers sont devenus facteurs de harpe, y compris aux États-Unis, parce qu’ils ont entendu Renaissance de la harpe celtique. À Limoges, il y a un concours national de harpe qui est organisé. Et, tous les ans, des partitions de Stivell sont au concours. Le pari de son père de recréer cette harpe et de la faire vivre, son fils l’a gagné.

Est-ce qu’on ne lui doit pas tout simplement le concept de musique celtique ?

Bien sûr. C’est lui qui a le plus popularisé le concept de cette musique celtique. Il l’a fait en liaison avec le Festival Interceltique. Les deux se sont épaulés. Stivell doit au festival et le festival doit à Stivell. Cette identité de musique et de culture celtiques doit beaucoup à Stivell.

Maiwenn Raynaudon-Kerzerho

BRETONS Février 2018


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